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10 juillet 2012 2 10 /07 /juillet /2012 16:28

Assis sur un tapis afghan, Laurent peut tout regarder.

Il n’a aucune limite.

Il n’existe pas un truc à la télé qu’il n’ait pas vu. Même des trucs intellos. Heureusement, les trucs intellos à la télé, ça ne court pas les rues. Laurent adore les émissions de voyage. Il adore quand un type se rend dans des lieux pas possibles en faisant semblant d’être en danger. Il jubile. Il adore les programmes historiques. La deuxième guerre mondiale. Les bombardements. Il adore la mort de Kennedy. Le Viêt-Nam. L’utilisation du napalm dans les rizières.

Laurent peut tout regarder.

Quand il regarde la télé, Laurent  n’a jamais le goût de se lever de son canapé. Il faudrait mettre une bonne branlée à son chien, un bâtard, qui lèche la vaisselle sale empilée dans l’évier, mais il ne se bouge pas, il regarde la télé. Il peut rester deux jours dans son canapé, sommeillant et pissant dans une canette vide, obligeant le chien à se retenir.

Laurent aime l’Histoire.

Laurent épingle sur le mur de sa salle à manger des coupures de presse dont il surligne les informations essentielles. Laurent répartit sur le sol des feuilles où il dessine des organigrammes.

Le chien hurle. Couine. Souffre. Et la voisine, agacée par les jappements, se dévoue pour sortir le chien, parce que lui, Laurent, il a des émissions de télé à voir et à revoir et des dizaines de magazines à éplucher.

Laurent aime la Géographie.

Il achète des répertoires à carreaux dans lesquels il note les destinations où il aimerait se rendre. Pleines de danger. Pour vérifier ce qu’il pressent, il téléphone aux ambassades pour qu’elles dépêchent leurs agents dans les endroits à problèmes.

Il peut tout regarder ? Mensonge.

Une fois par an en moyenne, tout lui prend la tête, et il détruit, il met ses cahiers à la poubelle, déchire ses organigrammes.

Revenu à la raison, il regrette.

Pleure toute la journée.

Retourne dans les supermarchés acheter des cahiers. Et des feuilles.

Retourne acheter une nouvelle télé.

Reprend les règles établies pour les rendre plus efficaces.

Laurent se coupe des autres.

Au lieu de regarder la télévision, il pourrait zyeuter chez les voisins. Regarder ses voisines étendre leurs culottes. Montrer leur magnifique bronzage dès qu’elles le peuvent. Il pourrait se montrer pervers. Les femmes de tout âge l’appelleraient gros dégueulasse, mais au moins, il aurait un lien avec le monde.

Il pourrait inviter la voisine du dessus à manger. Il pourrait l’inviter au restaurant. Il pourrait, quand elle vient chercher son chien, lui demander où elle habite dans l’immeuble et quel est son nom.

Mais non ! Il préfère regarder la télévision. Il la regarde tellement que parfois il ne fait pas attention à qui il parle. C’est-à-dire que si quelqu’un sonne chez lui, il est capable de lui parler sans que jamais ses yeux ne décrochent de l’écran.

C’était il y a deux ans. Il y a deux ans des gens sonnaient à sa porte. Époque finie. Tout se passe entre lui et la télé.

La voisine ne vient plus.

Il ne travaille plus.

Il ne mange plus.

Il vit avec un chien empaillé.

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8 juillet 2012 7 08 /07 /juillet /2012 10:48

Une dégradation mineure. Un simple accrochage. Un échange verbal qui se finit en pugilat.

Les flics ont été prévenus. Ils sont venus ; ils donnent des coups de matraque. Même Debbie.

Les CRS font la morale aux belligérants. Demeurez de bons voisins. Les bons voisins ne veulent rien entendre.

Du sang. Effusion de sang.

Tonelier, jouant pleinement son rôle de chef, prend la parole, souhaitant que ses mots pèsent. Il s’adresse aux protagonistes. Il emploie un ton sec. Il veut calmer Suzanne Riboulet.

– Madame, sachez que nos services sont spécialistes de ce type de recherche. Depuis le temps, ces opérations ne sont que routine pour nous. Nous avons un taux de réussite de soixante-cinq pour cent. Nous attraperons les coupables et la justice les punira. Vous ne devez pas vous en faire, vous pouvez dormir sur vos deux…

Suzanne Riboulet coupe la parole sans arrêt.

Rien à faire !

Je sais qui c’est.

Elle a posé sa main sur l’avant-bras, puis agrippé sa vareuse. Elle lui postillonne dessus. Son haleine donne la nausée.

Il soupire, lève les yeux au ciel et retire la main cramponnée à sa veste en lui tordant le poignet. Il  accomplit deux pas de côté, lui tourne le dos et demande à Debbie Dos Santos, flic de base, femme parmi les hommes, de s’occuper d’elle. Ils pensent que ce manque de considération va la calmer

– Nul besoin de s’en prendre à vos voisins, madame.

Suzanne Riboulet secoue les mains à hauteur des yeux, écarte les doigts et agite sa tête. Stop ! vous ne comprenez pas mon problème, hurle-t-elle à chaque fois que Debbie Dos Santos commence une phrase. Non ! vous ne comprenez pas mon problème. Non, non, non, dit-elle en cascade. Les paupières closes. Les bras en l’air. Le corps en transe.

Sur un ton didactique, imperturbable, Debbie Dos Santos continue ses explications.

Suzanne Riboulet n’écoute pas plus Debbie Dos Santos. Alors, exaspéré, Tonelier a ce geste irresponsable. De sa main droite, il lui bloque la mâchoire pour l’empêcher de parler.

– Si vous m’écoutiez, madame, au lieu de gesticuler, vous iriez vous coucher le cœur léger et rempli d’espoir. Car savez-vous, madame, on nous forme pour vous rassurer. On nous forme pour que vous gardiez une confiance aveugle dans l’action de la police. Autant dire que ce que nous vous disons est éloigné de la réalité, très éloigné. Rien n’est vrai. Tout ça, c’est du pipeau. C’est un discours bien ficelé que nous servons aux plaignants pour les tranquilliser. En vérité, nous n’avons pas les moyens d’enquêter sur ce genre de problème. Pas le temps, pas les moyens. Nous ne faisons qu’enregistrer vos plaintes, de manière officieuse ou de manière officielle, cela dépend des jours, nous ne faisons que regarder la délinquance augmenter, nous ne sommes là que pour constater, madame !!!

Tonelier reprend sa respiration. Un groupe d’adolescents, venu de nulle part, s’attarde devant le portail de la maison. Il considère cette femme, au goitre apparent, entourée de trois CRS.

– Je crois qu’il n’est pas utile de pousser cette conversation plus avant, dit Tonelier, je vais vous résumer ainsi la situation : soit c’est un amateur, et il brûlera votre véhicule au plus vite, soit c’est un trafiquant, et dans ce cas, il y a plus de chance qu’elle finisse en Afrique ou en pièces détachées… madame !!!

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27 juin 2012 3 27 /06 /juin /2012 16:27

Ciguë de mauvaise fortune. Plaie du jardin d’éden.

Ce sont les expressions qu’il emploie.

Ce doit être un homme cultivé.

« Je vous ai abandonné. Avoir perdu les atouts pour attirer votre attention me ronge. »

Kyrielle de reproches. L’inconnu se mortifie.

« Encore aujourd’hui je débarrasse derrière vous, je nettoie, et tout vous paraît naturel, et vous ne voyez pas que je pleure. »

Qui est-il ? Rien ne transparait. A moins que ce soit une femme. Il y a peu de chance que ce soit une femme. La façon de s’exprimer.

Il lui a autorisé plus de pardons qu’à n’importe qui, mais elle dédaigneuse, a feint de ne rien comprendre. « Combien ai-je éloigné de gens par égard pour vous ? » Analysant ce qui est dévoilé dans cette lettre, Blandine prend peur.

« Cela me laisse sans espoir, mon corps se mine d’attendre un signe de satisfaction, je vous aime et je suis délaissé. Je comprends toute la haine du monde et j’aimerai qu’elle s’incarne en moi. Je vous annonce que vous ne vivrez pas longtemps, j’espère contempler votre mort. Qui ne justifierait pas la mort d’une femme qui a trahi ? »

Mère poule.

Elle ne se méfie pas assez. On veut croire que les choses sont immuables. C’est rassurant.

La première lettre arrive. Une lettre de menace écrite conformément à la tradition, avec des lettres découpées dans un journal. Impressionnant. Une blague. Elle croit à une blague. Et le style. Mauvais style.

Une semaine plus tard la deuxième lettre advient. Plus précise. Plus menaçante.

Avec trois lettres, elle pourra faire une analyse. Les donner à son ami Tonelier, lieutenant de son état.

La troisième lettre survient. C’est à ce moment-là que tout se joue. Les questions. Vais-je plus mal ? Quid de mon entourage ? Va-t-il plus mal également ?

Tonelier prend ça au sérieux. Il prend tout au sérieux.

Elle regarde son mari. Ça pourrait être lui. Tout simplement. Y’a toutes ces rencontres qu’elle effectue et qu’il fait semblant de ne pas voir. Ça ressemble à de la logique.

Couper court. Balancer les lettres sur la table et rire.

Au alors. Fouiller dans la liste des rencontres. Depuis deux ans. Depuis son inscription. Ce serait se mentir. Elle s’est inscrite sur ce type de site pour être plus libre. Avant, il fallait attendre le vendredi et le samedi. Maintenant elle a toute la semaine pour y placer ses rendez-vous.

La meilleure solution : attendre la quatrième lettre.

Elle arrive. La quatrième lettre arrive. Plus claire quant à ses intentions, plus délirante. Mais aucune indication sur l’identité du destinataire.

Attendre la cinquième lettre. Agir seule. C’est vrai, pourquoi se tourner vers des hommes pour régler cette affaire, vers Tonelier ou son mari ? Elle peut s’en occuper seule. Sauf si c’est un fou. Il mettrait ses menaces à exécution et des gens mourraient. Ses enfants, sa mère, ses voisins. Le reste de sa famille. Son mari. Son mari aussi pourrait mourir. En toute logique, il devrait être le premier visé. A moins que l’assassin la connaisse parfaitement et comprenne que son mari n’est pas le rival le plus sérieux. C’est l’ironie du sort, il n’y a pas de rival sérieux.

Vu le contenu des lettres, elle en déduit qu’il s’agit d’un homme amoureux. Et malheureux.

La cinquième lettre se fait attendre.

Mais les enfants tombent malades plus souvent. Semble-t-il ! Elle ne voudrait alerter personne, mais les enfants sont malades anormalement. Rien ne justifie pourtant de les emmener chez le médecin. Les enfants tombent malades et les plantes aussi. Et puis, on a tué le chat de la voisine. Une coïncidence.

Vite une cinquième lettre pour soulager ses craintes.

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24 juin 2012 7 24 /06 /juin /2012 10:39

S’avouer qu’on a peur de son fils… quelle déception !

Vampires à la télévision.

Elle a remarqué qu’un soupçon plus fort pesait sur la jeunesse dans les films américains. Elle a vu des cinéastes dits branchés faire l’apologie des jeunes gens incapables de communiquer. Massacrant un lycée. Elle a remarqué que l’âge des vampires s’amenuisait. Ils sont plus beaux. Ils sont plus jeunes. Et beaucoup, parmi eux, ont pactisé avec le diable.

Elle a un faible pour les torses nus et les vampires peroxydés.

Elle comprend l’analogie. L’âge de raison n’a plus sa pertinence. L’apparente tranquillité vire constamment à la diablerie.

Julie Perrin se trouble devant l’évolution de la société décrite dans les films. Les jeudis soirs, sur la première chaîne française, les intrigues regorgent d’inquiétantes suppositions rendant les nuits suivantes éprouvantes. Se réveillant, inquiète, Julie se débat avec des troubles du sommeil.

Par moments, la présence de Sylvain la glace. Quand il passe dans la cuisine, elle s’arrête de respirer, elle redoute qu’il prenne un couteau de boucher et vienne l’égorger. Elle tremble devant lui. Elle échappe des objets. Il la traite de gourde, de conne. Elle s’excuse. Son fils dans sa chambre, elle tente de se calmer. Au premier bruit, la peur reprend place.

Pour Julie Perrin, elles existent ces images. Aux Etats-Unis, à cause de la misère et de la drogue, en France, à proximité de chez elle, avec des jeunes de banlieue, inactifs et violents traînant dans les halls d’immeubles. Elle existe cette menace… et elle peut débarquer chez elle.

Une fois Sylvain dehors et la porte fermée, elle regarde la serrure et pense, ce serait mal de la tourner, c’est mal d’avoir peur de son fils, de vouloir l’empêcher de rentrer chez sa mère, et elle en reste là.

Depuis un mois, elle a pris un abonnement au journal local. Elle veut se défaire de ses fantasmes. Voir la vérité. La vérité en face, comme on dit. Alors elle épluche les faits-divers pour noter si elle connait quelqu’un, de près ou de loin, qui aurait dû souffrir de cet aspect crucial de la nouvelle violence : celle des jeunes. La majorité des agressions est l’œuvre de gens d’une trentaine d’années, hommes ou femmes.

Ce qu’elle veut y voir, c’est un cas similaire au sien. Pour ne pas être prise au dépourvu. Elle veut déceler les symptômes. Savoir qu’elle est la responsabilité de l’alcool, de la drogue et du sexe dans cette explosion de violence.

Livres de vampires.

Reste la police.

Monsieur le gendarme, emmenez-le. Il me fait peur.

Les rumeurs. Vous savez ce qu’on dit sur lui. La jeune fille. Oui, la jeune fille. Celle qui s’est défenestrée. Oui, et bien ?

Ne pas vouloir entendre la réponse ; ce genre de réponse.

On a dit qu’il aurait donné – donné, entends-tu, Julie – l’acide qui aurait provoqué le trip fatal.

– Je voulais vous le dire monsieur le gendarme.

Julie Perrin n’a pas la force de l’emmener jusqu’au poste de police. Non, parce que c’est son fils, mais parce qu’il lui fait peur.

Jamais vu autant de films de vampires sur les écrans. Et de morts-vivants. Julie Perrin n’a pas peur des morts-vivants.

S’avouer qu’on a peur de son fils… quelle déception !

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15 juin 2012 5 15 /06 /juin /2012 08:22

Ils ont huit ou dix ans.

Dans la cour de l’école, à l’ombre du grand tilleul dégarni, Manu Lecce compose les équipes. Manu Lecce impose le respect à toute la classe, filles comprises, et à toute l’école, bien qu’ils ne soient pas les plus âgés. Il porte au poignet gauche, montée sur un bracelet argenté à structure métallique, une montre à quartz à l’écran rétroéclairé.

Il est le chef des voleurs. Stephen ne veut pas rejoindre l’équipe des voleurs. Surtout pas. Il prie très fort pour que Dieu empêche cela. Dieu l’a déjà entendu. Plein de fois. Plusieurs fois. Manu semble contrarié. Il reste Stephen : il est dans l’obligation de le choisir.

Leurs regards se croisent.

Manu. Manu Lecce, le grand Manu Lecce, muet, demeure dans l’impossibilité de lui dire de venir. Impossible. Il ne le veut pas. Il ne veut pas être un voleur.

Manu tente une diversion.

– Il y a des ptérodactyles carnassiers dans le ciel !

Nous levons les yeux, et les voyons tournoyer autour de l’école. Un groupe de ptérodactyles, une famille plutôt, qui fonce sur la cour de l’école pour enlever uns à uns tous les bambins de la maternelle. Le groupe de ptérodactyles s’éloigne, la diversion n’aura duré qu’un temps. Manu Lecce va-t-il les décevoir ? Manu Lecce va-t-il céder à la panique ? Enfin, il respire. Dans son dos Stephen sent une présence, un souffle. Manu retrouve le sourire. Sophie Marceau passe devant eux. Il lui dit « veux-tu venir dans mon équipe, Sophie » et elle répond « oui, je le veux ». Elle rejoint la meute des garçons en short et bretelles, chemisette blanche, elle est immense, plus grande qu’eux, ils s’agrippent à ses cuisses, Manu Lecce lui arrive à hauteur de genou, la partie semble déséquilibrée.

L’équipe des gendarmes l’accueille, Stephen doit leur faire honneur.

Le jeu commence. Il court après les voleurs mais, étant plus petit qu’eux, il se trouve pourchassé. Ils sont deux. Il court très vite, si vite que il les sème, si vite que il est perdu et seul. Il rebrousse chemin mais les paysages qu’il traverse ne lui disent rien, il discute avec des étrangers, des allemands.

– Avez-vous vu Sophie Marceau ?

Ils lui répondent à la télévision, oui, elle est à la télévision ! Et c’est vrai, Sophie Marceau se déshabille devant nos yeux émerveillés. Il en conclut que Sophie Marceau a arrêté de jouer aux gendarmes et aux voleurs. Il marche encore. Il est devenu un adulte, les voleurs sont restés des enfants. La vue de son uniforme les a tétanisée, il les cueille un par un. Tout cela n’était qu’un jeu, crois-moi. Sophie Marceau se laisserait-elle aller à d’autres choses qu’à des jeux ?

Les voleurs emprisonnés malgré leurs supplications, il continue à marcher. Puis vient la foule, une foule haineuse, faite de parents et de badauds mais sans Sophie Marceau. La foule crie à l’injustice, prône la méfiance : quelle fuite choisir ?

Il tourne à droite, puis à gauche, à droite, encore à droite. Il s’engage dans une ruelle inconnue, desservant des pavillons exigus, avec des terrasses en ciment occupées par des platanes. Il est, un moment donné, au Japon. Yuka Hyodo passe devant lui sur son vélo.

– Est-ce la rumeur de la foule que j’entends ?

En haut d’escaliers, il débouche sur une place lyonnaise sans fontaine.

Ce chemin était le raccourci qu’il cherchait en vain.

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14 juin 2012 4 14 /06 /juin /2012 08:17

Le choix d’une femme de ménage n’est pas voué au hasard.

Julie hésite…

Elle a suffisamment de revenus.

Julie hésite.

Elle a acquis ce droit.

Julie hésite.

Elle a le droit d’engager une femme de ménage. Elle dit le droit… elle l’évalue comme un droit ! Un droit dont l’usage lui serait enlevé si la justification se perdait.

Elle a suffisamment d’argent. Elle a mal au dos. Elle sue lors du ménage. Dès qu’elle frotte énergiquement, elle sue et quand elle se baisse, ou se met à genoux pour astiquer le sol, son dos lui fait mal. Son abdomen la gêne. Elle ne voit plus ses pieds.

Julie hésite… Julie hésite à convoquer des femmes. Par principe. Elle connait le sort réservé aux femmes. On a reconnu son combat pour l’égalité. Elle revendique des meilleures conditions de travail pour les femmes. L’idée que le nettoyage soit réservé aux femmes est en contradiction avec son action. Un homme et une femme ont les mêmes capacités. Il n’y a aucune raison pour qu’elle engage une consœur. Son entourage féminin lui reprocherait son manque de solidarité.

Si elle donne ce poste à un homme, certains y verraient une vengeance. Elle ne veut pas que cela soit dit. Non.

Julie tranche. Elle est décidée à retenir la première personne compétente qui se présentera.

Sur l’annonce, elle insiste bien pour qu’on sache que le sexe lui est indifférent.

Rech. Personnel de ménage. Exp. Souh. Formation. H ou F. Tout âge. Entretien maison. Jardin. Brico. Cuisine. 10 h/sem.

Sauf, pense-t-elle, peut-on avoir confiance dans un homme qui se présente pour une telle place ? N’aura-t-elle pas affaire à des marginaux ? A des êtres instables ? Des drogués ? Des chômeurs ? Des homosexuels. Ne seraient-ils pas prêts à la dévaliser, à la violer ? Sauf les homos. Sauraient-ils être respectables ? Sauraient-ils être honorables ?

Et puis, Julie hésite à cause de son fils. Sylvain.

Il lui pourrit sa vie.

Elle a tout réussi dans sa vie. Sauf son fils.

Le tyran.

Elle ne cèdera pas.

Il juge ce qu’elle fait. Il juge les choix qu’elle fait. Il juge les rencontres qu’elle fait.

Julie ne cèdera pas.

Julie fait appel à une boite intérim. Numéro azur. Un vendredi après-midi, elle convoque six femmes et six hommes et Sylvain est prié d’aller voir ailleurs. Julie a hésité avant de prendre cette décision. Contrarier Sylvain. Mais elle devait le faire. Elle aurait continué à se baisser. Son dos qui lui fait mal. Son ventre lui empêche de voir ses pieds.

Sylvain lui aurait pourri son recrutement.

À douze ans.

Julie est la meilleure des conseillères juridiques. Féroce. Méchante. Indéboulonnable.

Elle a vu tout de suite qui lui plaisait. Celui. Une envie irrémédiable. Beau comme un dieu grec. Capable de quoi ? Capable de rien.

On s’en fout.

– Venez lundi.

Si je sens qu’entre temps, je vais changer d’avis, peut-on avancer le début de votre travail ?

Attendre un week-end.

Pour madame Perrin, ça risque d’être long.

Le choix d’une femme de ménage n’est pas déterminé par le hasard.

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28 mai 2012 1 28 /05 /mai /2012 09:30

Qui est-il ?

Thierry Pétrel.

Quand il épie les autres, pour qui se prend-il ?

Le meilleur.

Quand il vend, que se dit-il ?

Ils ont de la chance.

Quelle chance ?

La chance que Thierry est mis son intelligence au service de l’honnêteté.

Un jeu. Une piste. Il n’a pas trouvé parmi l’ensemble des habitants du quartier lequel avait acheté une voiture de sport. Il regarde souvent par la fenêtre, mais il ne voit pas dans la rue qui a pu acheter une voiture de sport.

Il regarde pardessus les haies. Ce doit être  à quelques rues d’ici.

Trouver l’homme à la voiture de sport pourrait tout faire basculer.

Cette voiture, il l’a aperçue quatre fois puis elle a disparu. Il l’a aperçue en arrivant de Valence avec Blanc, en faisant le tour du quartier, en revenant de la morgue et en partant le soir saluer sa mère.

Quatre fois à la même place.

Ce matin, il ne l’a pas vue. Hier matin il ne l’a pas vue. Ni l’avant-veille. Ni le jour d’avant. Ni les jours précédents.

Quatre fois.

Il n’a pas rêvé.

Il aurait pu se dispenser de retourner dans le quartier du Moussi. Les absents d’hier ne sont pas réapparus et sa mère s’est mise à pleurer.

Il a passé une journée sans vendre.

Quand il a raconté ça à Blanc, il l’a pris très au sérieux, il lui a dit si vous m’aviez demandé conseil, je vous aurai dit comment faire pour retrouver cette voiture.

L’ampleur de la tache l’empêche de réfléchir.

Une bagnole. Pourquoi se focaliser sur une bagnole ?

Il regarde dans chaque rue. Il procède méthodiquement. Il sait que les portes des garages sont fermées. Il ne comprend pas pourquoi on voudrait dissimuler cette voiture, ni pour quelle raison il tient tant à savoir qui possède cette voiture.

Une bagnole. Juste une bagnole.

Il l’a vue quatre fois et depuis rien du tout. Quatre fois de façon rapprochée et plus rien. Il a ce mauvais pressentiment. Ce mauvais pressentiment qui ne le quitte pas, qui ne le quitte plus.

Relativiser.

Vite.

Après tout ce que lui définit comme un mauvais pressentiment n’est juste qu’un voile chez les autres. Il compte jusqu’à cinq. Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq. L’ombre a disparue. Il a retrouvé cette joie qui fait de lui le meilleur des vendeurs.

Je m’appelle Thierry Pétrel. Je vends.

Il a tout vendu. Tout et n’importe quoi. Par tous les moyens. Par des biais détournés. Thierry Pétrel évolue dans un monde mercantile. Tout s’achète. Tout se vend.

Des maisons. Transaction plus longue que ce qu’il a l’habitude de faire. Une poignée de mains. Là, il en faut plus. Beaucoup d’intervenants. Il ne peut pas faire sa soupe.

Il est le meilleur des vendeurs. Il n’y arrive pas. Sa période d’essai arrive à échéance. Il n’a toujours pas vendu sa première maison.

Il se lance dans ce secteur parce qu’il rêve de vacances au soleil. Marre de devoir compter. Marre d’être empêtrer dans une morale qui ne désavantage que lui.

Le soleil écrasant.

La canicule.

Sa jolie femme.

Il fatigue. Il se déshydrate. Il perd conscience.

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27 mai 2012 7 27 /05 /mai /2012 09:09

La journée d’Arnaud commence avec un cocktail de vitamines dans son verre de jus d’orange. Agrémenté d’une dose de Guronsan. Après il avale un Prozac. Avant sa première réunion de travail, il se gave de comprimés d’Avlocardyl. Pour tenir le coup, si la soirée au bureau se prolonge, il prend de l’Olmifon.

Chez lui un Stilnox l’aidera à s’endormir et un Mogadon l’aidera à bien dormir.

L’armoire à pharmacie d’Arnaud déborde d’anxiolytiques, d’antidépresseurs, d’hypnotiques et de psychotropes.

Il connait les noms et les effets de tous les produits que contient son armoire.

Il est incollable.

Il a des centaines de boites en réserve.

Il a commencé à l’école de commerce. Non. Il a commencé avant. Au collège. Rien de bien méchant. Pour la circonstance.

Il a amplifié sa consommation dès son premier salaire. Sa consommation s’est quintuplée avec l’arrivée d’Internet. Ce que ne délivrent ni le pharmacien, ni le médecin, peut se trouver sur internet. Arnaud a eu la tentation de vendre.

Le but ?

Être le plus fort. Etre le plus beau. Etre le plus performant. Dans tous les moments de la vie. En compagnie de tous.

Etre plutôt que devenir.

« Je crains de ne pas être à la hauteur »

Son cœur, son foie, ses reins dégustent. Arnaud le sait. Des troubles psychologiques sont apparus. Altération des réflexes, perte de vigilance, perte de mémoire. Passé la phase de l’usage, pendant laquelle il a bénéficié des avantages, celle de l’abus a surgi.

Il a basculé dans la dépendance.

Ce que ces produits vous promettent.

Il serait con de s’en passer.

« Au fond, pourquoi s’en priver si je sais qu’un petit cachet empêche de se sentir mal. » L’hypertension. Le trac. L’angoisse. Disparus à jamais !!! Car, chouette, le stress envolé.  Et, de temps en temps, s’offre à lui, la possibilité de se déconnecter de la réalité.

Anxiolytiques, hypnotiques, bêtabloquants. Jolis noms.

Témesta, Lexomil, Valium, Xanax, Donormyl, Stilnox, Imovane, Mogadon, Noctamide, Avlocardyl, Lopressor, Sectral, Tenormine. Comme vous êtes doux à mon oreille.

Ils annihilent la fatigue. Diminuent la sensation de fatigue.

Les anabolisants stimulent la croissance des tissus musculaires pour améliorer l’apparence physique. Il reste jeune.

Les amphétamines modifient l’humeur et renforcent l’énergie.  Il est de bonne humeur.

Les corticoïdes ont un effet excitant et suscitent l’euphorie. Il a la pêche.

Les dérivés opiacés peuvent avoir un effet excitant ou sédatif selon la dose et l’individu. Tout va bien pour moi, merci !

Guronsan, Adrafinil, Olmifon, Modafinil, Modiodal, Vitamine C, Sargenor, Androtardyl, Pantestone, Xenical, Viagra, Cialis, Levitra, Piracétam, Nootropyl, Axonyl, Gabacet, Géram, Prozac, Deroxat, Zoloft Solupred, Célestène, Cortancyl, Néocodion, Di-Antalvic, Arcalion, Cogitum.

Accoutumance et, pour certains, excitation et insomnie. Agitation, insomnie, palpitations cardiaques. Agressivité, agitation, confusion et insomnie. Et anorexie. Troubles cardiovasculaires et de la vision. Troubles de conduction cardiaque. Dépression. Troubles métaboliques. Ulcère. Diabète. Excitation et insomnie.

Sur le Net, il trouve tout et n’importe quoi.

Rares ou interdits en France, certains produits sont faciles à dénicher sur des sites suisses ou américains.

Mélatonine pour mieux supporter les décalages horaires, Anorex ou Modératan utilisés comme coupe-faim, ou encore la DHEA, contre le vieillissement, ont pris leur place dans l’armoire à pharmacie d’Arnaud.

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15 mai 2012 2 15 /05 /mai /2012 15:17

Déambulant entre les incinérateurs, vacillant, sous le regard ébahi et effaré des ouvrières, pénètre dans l’atelier par la porte principale, la porte des camions comme l’appelle les ouvrières, Joseph. Avenue du Maréchal Foch.

Déboussolé. Nonchalant. Sans volonté.

Un bonnet rouge sur la tête.

Sans écharpe autour du cou, alors que le vent du nord souffle comme jamais depuis une semaine. Lui qui a pour habitude de porter souvent une écharpe – même en été – se retrouve sans, tellement la nouvelle de son licenciement l’a déconsidéré.

Un soir d’hiver. En plein hiver.

Le contremaître lui a dit à partir de demain, on veut plus te voir.

– Tu vas recevoir une lettre…

Il n’a pas compris. C’est une fois chez lui qu’il a réalisé qu’il n’avait plus rien. Une fois la lettre entre ses mains. Dans la misère. À Kinshasa il était quelqu’un, l’équivalent de Franco, du docteur Nico, du grand Kalle. Pourtant, comme ici, il était un étranger, un chef d’orchestre de Bamako. À Kinshasa, avec sa guitare, il était quelqu’un. Des gens venaient de toute l’Afrique danser avec lui. Un gars qui jouait avec Sam Mangwana. Avec Wendo Kolosoy. Jeannot Bombenga. Le Trio Madjesi. À Kinshasa, en compagnie de Joseph, se déhancher signifiait quelque chose.

Depuis qu’il était en Europe, on lui crachait dessus. Personne ne l’avait averti que le voyage à Bruxelles était une erreur.

Depuis qu’il est en Europe, il n’est plus un musicien.

Le contremaître affolé, averti par le délégué syndical – le sans papier est là – vient à sa rencontre. Je vais tout prendre alors que je n’ai rien fait. Sous le regard méprisant des ouvrières, minuscule homme potelet, le contremaitre affolé se retrouve impuissant pour l’arrêter. Ses appels à l’aide sont couverts par le bruit des machines.

Après tout, cherchant à être promu, le contremaître affolé a voulu ce type d’ennui.

– Que veux-tu, Joseph ?

Voir le patron. Lui comprendra. Il sait que depuis qu’il est en France, il est un bon ouvrier.

Le contremaitre rigole. Le patron a disparu. Envolé. Joseph devrait savoir que le directeur sévit ailleurs.

Joseph perd la notion de l’espace, il ne sait plus où se diriger. Les éléments se déchainent contre lui. Dernier sursaut d’énergie. Joseph attrape le cou du contremaitre pour l’étrangler.

Après l’avoir sérieusement amoché et, dans un geste mécanique, sa main serrant sa gorge, plaqué contre le mur le contremaître affolé, Joseph défaille. Ses jambes flanchent d’un coup, comme s’il avait reçu une décharge de Taser. Deux ouvrières, mères de famille d’une quarantaine d’années, bras de chemise relevés, le soutiennent jusqu’au bureau du contremaître.

Le contremaitre souffre d’ecchymoses mais les mères de familles s’en foutent. Faut que le directeur vienne ; appelle le directeur. Le contremaitre ricane. Jamais le directeur ne se déplacera.

– Alors, dis-leur d’envoyer quelqu’un.

En attendant l’arrivée du directeur, ou d’un membre de la direction, le délégué syndical, poussé par les ouvrières furieuses, tente de discuter avec Joseph.

Joseph est en état de choc. Il ne cesse de demander si l’usine est sa maison.

Le délégué syndical téléphone à sa famille, à sa sœur qui immédiatement prévient qu’elle ne pourra pas s’occuper de son frère. Son refus déclenche une violente dispute avec le contremaître et la secrétaire, permettant à Joseph, oublié des autres, de quitter le bureau en catimini pour disparaître de la circulation. Il court se cacher dans une maison abandonnée qu’il a repérée.

On constate sa disparition.

On hésite à le chercher.

Le boulot attend.

On ne fait rien. Mieux vaut pour tout le monde que Joseph soit parti de lui-même.

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14 mai 2012 1 14 /05 /mai /2012 16:52

Le Soap Opera est-il meilleur au Mexique qu’en Australie ?

Le remariage, l’union maritale si tu préfères, est très tendance… de par le monde. Expression adéquat. De par le monde.

– Ecoute, chacun de vous porte à part égale la responsabilité de cet échec.

Comprendre : c’est un discours de façade. Celui qui parle sous-entend, moi, je dirai que tu es plus responsable qu’elle. You are the Responsable, avec une majuscule. Je dirai que ça se mesure à presque rien, pas grand chose en fait, mais ça légitime le fait que je me remarie avec ta femme. On ne va pas en reparler, autrement, on se disputerait à nouveau.

Ils se savent très violent.

Donnons-lui une nouvelle chance ! Elle le mérite, n’est-ce pas ?

Le remariage est très tendance. Le remariage avec sa belle-sœur l’est un peu moins.

Le Soap Opera est-il plus suivi au Mexique qu’en Australie ?

En fait la femme de son frère. Will fut séduit dès leur première rencontre. Un geste biblique. Un frère qui n’est pas vraiment un frère, un remariage qui n’est pas un véritable mariage. La cérémonie à l’église a été occultée. La robe de couleur écrue est simple, sans voile, sans chapeau, sans bouquet, sans jupon et crinoline. N’a lieu qu’un consentement et un banquet hivernal se déroulant entre intimes dans un restaurant chic au milieu des vignes de Californie, avec ses cousines préférées, soit presque personne, et leurs collègues de boulot, Trevor.

A leurs âges, on a perdu tous ses amis d’enfance.

Un truc sans joie au lieu de consentements échangés face à l’océan.

Désormais, elle se fait appeler Becky.

Pour l’éternité, elle se fera appeler Becky.

– Qu’est-ce que je peux y faire, répond d’un air faussement désinvolte, le nouveau marié quand on lui expose le coté contre-nature de sa future union.

Ses enfants seront les cousins et les frères des prochains, ses neveux seront encore ses neveux. Tu garderas la même belle-mère. Ce sera comme un inceste légalisé !

– Que puis-je y faire, c’est l’amour, et j’y mètrerai, si je le pouvais un A majuscule. De toute façon, tu n’y connais rien, répond sérieusement le nouveau marié, comment peux-tu parler avec moi d’Amour avec un A majuscule, d’amour véritable si je compare ta morne existence à la mienne ?

Le Soap Opera dure-t-il plus longtemps au Mexique qu’en Australie ?

Pour tous ceux qui sont venus, la mariée était belle, plus belle qu’à son premier mariage. Je sais, j’y étais. Nous étions des millions. Je vous rappelle qu’elle est et restera la femme de son frère, car le jour de son premier mariage, elle voulait déjà être avec Will. En visionnant les bandes, on peut le lire dans ses yeux.

Elle voulait être actrice.

On l’appelait encore Rebecca.

Il serait dommage qu’elle s’abîme, qu’un autre en profite, qu’elle se rende compte de son erreur, alors elle ne doit plus vivre, elle n’est plus la fiancée de l’Amérique, ou du Brésil, ou du Mexique, ou de quelconque contrée exotique, mais il ne peut en être autrement, à la sortie de ce nouveau mariage, elle ne peut que mourir dans un accident de la circulation, les spectateurs ne voudraient pas qu’elle se transforme en grand-mère.

Le frère de Will n’a rien à dire. Il ne peut rien dire. Son passif est trop lourd.

Le Soap Opera est bien une création américaine.

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